Equipe Cousteau rend hommage à Jacques Renoir
Nous avons la tristesse d'apprendre le décès de Jacques Renoir, cinéaste majeur de l'équipe Cousteau, décédé le jeudi 7 novembre à Nice, à l’âge de 82 ans.
Jacques Renoir est l’arrière-petit-fils d’Auguste Renoir, le maître impressionniste, le petit-fils de Pierre Renoir, le comédien, le fils de Claude Renoir, le directeur de la photographie de La Grande Vadrouille et des Sorcières de Salem, et le neveu de Jean Renoir, le réalisateur de Déjeuner sur l’Herbe, French Cancan, La Bête Humaine. Comme il devait être agaçant de se voir sans cesse relié à la lignée paternelle. N’est-ce pas une manière de se voir confisqué le mérite d’être devenu soi-même un grand directeur de photographie dans le septième art ?
Nous nous limitons ici au rôle qu’il a joué dans la réalisation des films Cousteau des années 1967 à 1973 mais il mena ensuite une carrière riche, respectée du public et de ses pairs.
En 1967, il est un assistant opérateur confirmé dans le long métrage, qu’il pratique au sein de diverses équipes, dont celle de son père. Pourtant, le jeune Jacques éprouve une envie de rébellion contre l’ordre établi. Le hasard fait qu’il connait Georges Barsky qui, en 1967, revient de l’Océan Indien, après plusieurs mois passés à bord de la Calypso en tant que chef opérateur, et qui propose de le présenter à Cousteau. La proposition tombe au moment où il envisage de briser une filière établie. Il a envie de voyager, de partir. « Quelques jours plus tard, raconte-t-il, je suis face à Philippe Cousteau, bien carré dans son fauteuil, qui me regarde droit, des pieds à la tête et me dit : « Nous sommes un petit peu écœurés par les cinéastes, parce qu’ils ne connaissent pas la mer. Ils ne sont pas faits pour ça. Moi je ne veux plus entendre parler de cinéastes, mais j’ai besoin d’un assistant pour s’occuper du matériel, quelqu’un qui ait des compétences, et qui sache plonger ». Je lui ai répondu que c’était mon cas. C’était un mensonge parce que je n’avais jamais plongé de ma vie. Il y a des moments où il faut savoir mentir pour obtenir ce que l’on veut. Alors, sur le ton de celui qui décide tout de suite, en me tutoyant immédiatement, Philippe me dit : « Est-ce que tu es prêt pour partir après-demain ? »… J’ai dit oui ».
Jacques Renoir se retrouve, trois jours plus tard, au Caire, le 14 juillet, en pleine Guerre des Six Jours. La Calypso revient de six mois de croisière cinématographique en Océan Indien, et se voit contrainte de rebrousser chemin vers le sud. Très vite l’exploration reprend. Se présente alors la première plongée, sur une épave repérée au sondeur par moins 35 mètres. Jacques Renoir, qui n’a jamais plongé, raconte : « Les plongeurs se sont rapidement équipés. Alors que je les regardais, l’un d’eux me dit : « Tu viens avec nous ? » J’ai alors enfilé une combinaison, un bi-bouteille, et je me suis mis à l’eau en suivant le dernier. J’ai eu beaucoup de mal, il fallait équilibrer les oreilles, le masque se remplissait d’eau, mais comme j’ai de la fierté et que je suis un peu inconscient, je suis descendu sur l’épave à 35 mètres. Je devais avoir l’air ridicule, accroché à un bastingage. L’un d’eux a remarqué mon attitude - je crois que c’était Bernard Delemotte - m’a pris par le bras et m’a remonté. Et comme je ne connaissais pas les règles de base, je remontais sans souffler l’air de mes poumons. Alors il me donnait des coups de poings dans la poitrine pour que j’expulse l’air. Je me disais : « Le salaud, il me punit… » Je me suis retrouvé sans connaissance sur le pont du bateau, avec trois ou quatre plongeurs penchés sur moi. L’un d’eux m’a dit « Il y a longtemps que tu as plongé ! » J’ai dit « C’est la première fois ». Et là, ils m’ont mis à l’école, j’ai appris à nager avec des palmes, à mettre un masque, un tuba, des bouteilles, à plonger ».
Parti trois mois sur un simple accord verbal, il passera sept ans dans l’équipe, à bord ou en dehors de la Calypso. D’abord en tant que caméraman, puis comme chef opérateur des prises de vues extérieures, ainsi que comme réalisateur de cinq films, tous nominés pour des Emmy Awards, et dont deux recevront la prestigieuse récompense.
Les mots d’hommage de Yves Omer, son complice opérateur sous-marin, en disent plus long sur qui était Jacques Renoir :
« Salut à toi excellent opérateur plein de savoir, suffisamment humble pour ne pas envahir la scène de cette attitude mégalo qu’on voit souvent. Te voir tenir la caméra dans le tohu bohu des mouvements de terrain ou de bateau montrait ton aisance dans ta vision de l’espace et du rendu du sujet. Je te remercie pour l’atmosphère que tu as su maintenir entre nous deux alors que, opérateur s/m, je cooperais avec toi à la réalisation de ce film émouvant dont tu avais la charge et qui est l’un des plus universel et humain de la série : La tragédie des saumons rouges. Rappelle-toi les plongées au corail à 110m et ce qui s’ensuivit. Je t’ai bousculé quand j’arrivais sur le pont, te précipitant pour quelques images d’un gars qui aurait pu ne pas remonter. J’en ai encore le souvenir. Cela n’a pas entaché le plaisir sain d’être ensemble au sein d’une vie époustouflante au milieu de l’eau aux vies tout aussi époustouflantes. Tu fais partie de ces totems qui jalonnent ma vie finissante aussi, qui m’ont aidé à aller au bout de ce parcours. Les aléas nous ont séparés, mais je n’ai pas oublié que tu es le parrain de ma fille. J’ai les larmes aux yeux, car tu as su, nous avons su, porter le rêve de la Vie comme JYC savait nous le faire voir. Adieu ami ! Resquiat in Pace... »
Nous adressons nos condoléances émues à sa famille.
Filmographie de Jacques Renoir au sein des réalisations Cousteau
Caméraman :
Les Requins (1967)
La Jungle de Corail (1967)
Directeur de la photographie :
Les Baleines du Désert (1969)
Ces Incroyables Machines Plongeantes (1970)
Cavernes Englouties (1971)
Le Sourire du Morse (1973)
Réalisateur :
La Nuit du Calmar (1969)
La Tragédie des Saumons Rouges (1970) Emmy Award
Les Dragons des Galapagos (1970)
Le Chant des Dauphins (1972)
Les Fous du Corail (1975 tourné en 1971)