C'était André Laban, ingénieur de la soucoupe plongeante
Par Franck Machu.
André Laban, décédé à l’approche de ses 90 ans, fut un des personnages cléf de l’équipe Cousteau. Comme Frédéric Dumas ou Albert Falco, il joua un rôle essentiel. Conseil aiguisé, parole lucide, complice sans masque, il fut l’un des seconds de Cousteau dans les années d’intense créativité.
L'embarquement sur la Calypso
Tout commence en 1952, sur la plage arrière de la Calypso amarrée au Vieux Port de Marseille pour décharger les amphores fraichement remontées de l’épave antique du Grand Cougloué. Cousteau cherche un ingénieur pour prendre le relais de Jean de Wouters. André Laban vient de décrocher son diplôme d'ingénieur chimiste. Il est attiré par la plongée et l’univers sous-marin dévoilé par Cousteau dans ses premiers courts métrages. « Que sais-tu faire ? » lui demande Cousteau. « Rien, lui répond-il, mais je sais un peu bricoler ». Cousteau lui propose un essai d’une semaine… une semaine qui se prolongera 20 ans.
Laban est très vite affecté à l’Office Français de Recherche Sous-marines (OFRS) que Cousteau crée à Marseille en 1953, et imagine comme le pendant civil du GERS de la Marine nationale. Le premier défi est de concevoir un boitier sous-marin de caméra de télévision pour une émission en direct au court de l’année 1953.
Précontinent 1 et Précontinent 2
En 1954, assisté de ses deux astucieux compagnons de conception, Claude Strada et Armand Davso, Laban s’attaque à la mise au point de caissons de caméra de cinéma 35 mm. Il a l’idée de les concevoir en PVC, un matériau alors tout nouveau, facile à souder et à usiner. C’est ainsi que les caméras « du Monde du Silence » voient le jour. Le film est tourné l’année suivante avec Louis Malle en coréalisateur de Cousteau. Laban en est un des principaux protagionistes. Le film est un triomphe. Palme d'or à Cannes en 1956, Oscar du meilleur documentaire. Il révolutionne la vision de l’homme sur le monde sous-marin.
En 1956, André Laban devient le Directeur d’un OFRS qui grossit en effectif, et les réalisations exceptionnelles s’enchainent : les Troîkas (traineaux d’exploration sous-marins de grande profondeur) ; en 1959 la soucoupe plongeante SP350 (premier sous-marin d’exploration) ; en 1962 et 1963, les maisons sous-marines de Précontinent 1 et Précontinent 2, puis les caissons d’appareil photographiques.
L’Odyssée sous-marine de l’Equipe Cousteau
En 1965, André laban est le chef de la mission Précontinent 3 au Cap-Ferrat, une expérience de vie de 6 océanautes vivant un mois à 100 m de profondeur dans une sphère habitable. Une réussite flamboyante et le sommet de la collaboration de Laban avec Cousteau.
En 1966, Laban cède sa place de directeur de l’OFRS à Roger Brenot et s’embarque sur la Calypso pour l’Odyssée sous-marine de l’Equipe Cousteau. Une croisière de 3 ans autour du monde pour la réalisation de 12 films de télévision. Laban est « Film Coordinator ». Il réalise plusieurs films de la série.
Après l'aventure Cousteau, Laban l'artiste
En 1972, les difficultés financières de l’OFRS, devenu CEMA, oblige Cousteau à fermer le CEMA et à licencier une grosse partie de son personnel. André Laban est de ceux-là. C’est un véritable choc pour lui qui confiait être « entré en Cousteauisme comme on rentre en religion ».
Mais Laban n’est pas qu’ingénieur, en lui sommeil un artiste. Labanus, comme l’appelaient ses amis de la Calypso, est un érudit iconoclaste à l’apparence d’un gamin sans âge, capable de réaliser une synthèse inédite du cartésianisme le plus rigoureux et de la fantaisie créative la plus débridée. C’est un grand dilettante, au sens le plus noble du terme : bohème, peintre, joueur de mot, musicien.
Ce licenciement lui ouvre les yeux. Il s’aperçoit qu’il peut exister par lui-même, s’épanouir dans toute sa singularité. Dans sa maison de Saint Antonin Noble Val, André Laban cultive ses nombreux talents. Il peint, imagine des films sous-marins et les réalise, joue de la musique, s’adonne à la photographie, publie des recueils de dessins et écrit des textes pleins d’humour. Il semble avoir pris le parti de tordre le coup au cliché du marseillais exubérant et vantard. Economes de ses mots, il s’exprime par euphémisme. Ce généreux pudique pratique le verbe aussi bien qu’il manie le crayon, le pinceau ou l’outil. Son Dictionnaire des petits mots logiques, paru en 2010, aux Editions La Brochure, est le fruit du mariage de l’humour et l’érudition.
Ses films sont des pépites de fantaisie sans dialogues ni commentaires, dans lesquels les images s’accoquinent à la musique et aux effets sonores. "Iris et Oniris" est Palme d'or au festival mondial de l'image sous-marine d’Antibes en 1996. "Neptunia" (2007) décroche un prix de l'humour en 2007.
Ses toiles sous-marines resteront son grand œuvre. Les plongeurs se les arrachent, et les amateurs d’art n’ont pas dit leur dernier mot.
L’Equipe Cousteau se joint à la peine de sa famille et ses amis et leur souhaite toutes nos condoléances.