Cousteau rend hommage à Claude Strada,

Son accent doucement chantant n’en faisait pas mystère, Claude était un enfant de Marseille, où il est né le 21 février 1926 et où il vécut presque toute sa vie. Il est de milieu modeste et c’est pour s’assurer un emploi qu’il passe un CAP de secrétaire comptable et se fait embaucher dans une entreprise de bâtiment. Mais ce qui l’intéresse lui, c’est dessiner, dessiner des ensembles, tracer des objets. Il aime réaliser des plans techniques. Depuis tout petit il fait de la mécanique avec son père et il aime ça. Claude habite Mazargues, le quartier sud de Marseille à une crête des calanques. Son goût pour la mer s’affirme et c’est à Sormiou, où ses parents ont un cabanon, qu’il enfile son premier masque et s’éblouit des scintillements du soleil sur le fond de sable de la calanque. Ses copains de cabanon s’appellent Albert Falco, Henri Plé, André Horus, leur ainé s’appelle Georges Beuchat. Dans une France encore sous ticket de rationnement, il découvre avec eux la chasse sous-marine, confectionne sa première arbalète avec des tendeurs taillés dans une chambre à air de camion. Il a l’occasion une fois d’enfiler un scaphandre Cousteau-Gagnan pour aller extirper un mérou harponné au fond de son trou. Plonger et respirer sous l’eau, quelle sensation !Lorsqu’en 1948, il apprend que la Chambre de Commerce de Marseille ouvre un recrutement de dessinateur de bureau d’études par concours, il s’inscrit. Il n’y a que 3 postes pour 25 postulants, mais il décroche la première place. Son travail à la Chambre de Commerce tourne autour de l’activité portuaire. Il dessine des bâtiments, des hangars métalliques, des schémas cinématiques de grues… Le soir il prend des cours de trigonométrie, de calcul de résistance des matériaux. Il est travailleur et apprend vite, car il est doué pour la conception.

Durant l’été 1952 débute un chantier de fouilles archéologiques sous-marines au pied de l’îlot du Grand Congloué, à quelques encablures de Sormiou, que Claude et ses compagnons connaissent bien. La Calypso du Commandant Cousteau vient s’ancrer chaque jour à la verticale de la galère antique engloutie. On en parle dans tout le milieu des marins et des pêcheurs de Marseille et cela fait sensation lorsque la Calypso vient décharger ses amphores sur les quais du Vieux Port. Son copain Falco, chasseur sous-marin réputé, se fait recruter par Cousteau. Strada regarde cela avec envie.

Très vite Cousteau met le milieu des plongeurs marseillais en ébullition et la ville est ravie de la publicité que cela lui procure. Très vite, ce premier chantier officiel de fouilles réalisées en scaphandre autonome pose des problèmes techniques et engendre des projets nouveaux. Cousteau obtient le soutien logistique et technique de la Chambre de Commerce et des Phares et Balises. Il songe à créer une petite structure pour étudier les solutions aux problèmes que soulèvent ses projets. Fin 1952, il recrute à l’essai André Laban, un ingénieur chimiste qui l’intéresse par son côté original touche à tout. La télévision française encore balbutiante est à la recherche de sujets pour ses émissions. Qu’à cela ne tienne ! Cousteau imagine une émission sous-marine sur le site de fouille. Il suffit de concevoir un caisson étanche pour y mettre l’énorme appareil Thomson CSF. Laban en est chargé. Il lui faut une équipe. C’est là que Claude Strada met un pied dans l’affaire. La Chambre de Commerce ne voit pas d’inconvénient à ce qu’il travaille pour Cousteau après ses heures de travail. Chaque jour à 16H, Claude repli ses plans de pont roulant et déroule le plan du caisson de télévision sous-marine pour travailler avec Laban. Un mécanicien de la Chambre de Commerce leur est alloué : Armand Davso. C’est lui qui réalise le tournage des pièces mécaniques. Ce caisson de caméra de télévision fait gamberger les trois hommes. Claude se souvient : « Cousteau amenait ses idées et on les mettait en musique. Il disait : « Il faut un cône d’eau clair devant l’objectif », et on se mettait à réfléchir. ».

Cette première réalisation est une réussite totale. Elle permet de réaliser en 1953 le premier direct sous-marin de l’histoire de la télévision. Cela déclenche la création officielle de l’OFRS (Office Français de Recherches Sous-marines), une association à but non lucratif, que Cousteau imagine comme un pendant civil du GRS (Groupe de Recherche Sous-marines) qu’il a créé avec Philippe Tailliez et Frédéric Dumas au sein de la Marine nationale en 1945. Ce n’est pour l’instant qu’une entité sans moyens. Laban en prend la Direction. Il est assisté de Strada et de Davso, tous deux détachés de la Chambre de Commerce. Après la télévision, l’OFRS conçoit la Troika, traineau remorqué sous-marin pour faire des images des fonds abyssaux, et améliore les scooters sous-marins du GRS pour le cinéma.

Un jour de 1953, Claude Strada rejoint en gabarre le site des fouilles du Grand Congloué avec Armand Davso. Calypso n’y est plus, c’est une petite équipe à terre qui maintient l’activité de fouille. Claude raconte : « Davso m’a proposé de plonger et d’aller fouiller avec la suceuse, j’étais ravi ! Je suis descendu à 40 mètres avec une corde nouée à la taille sur laquelle je devais tirer pour dire à Davso de lancer le compresseur de la suceuse. Arrivé en bas, plus de corde. J’hésite et je me dis que si je remonte la chercher ma plongée est foutue. Et là je vois un bidon vide sur le fond. Je le gonfle d’air et le vois remonter à la surface. En surface Armand à compris et à mis en route l’air de la suceuse. Quand je suis remonté il m’a dit : « Mon fada, tu es moins con que je le pensais ! ». C’est que je ne voulais pas manquer cette occasion unique de faire des fouilles sur la galère ! »

Jouxtant le bureau de Strada à la Chambre de Commerce, se trouve Radio Marseille. Tous les matins a lieu une communication radio avec la Calypso. Claude est souvent le premier à répondre. Il rêve d’embarquer. Mais chaque fois qu’il en émet le souhait Cousteau lui répond : « Non non désolé on a besoin de vous ici ! ».

Fin 1954, les trois hommes s’attaquent à la conception d’une caméra de cinéma étanche. Les caméras utilisées par Cousteau jusque là étaient toutes des caméras terrestres portatives mises en caisson. Et pour limiter le risque d’entrée d’eau, le caisson était « respirant », c’est-à-dire couplé à un détendeur Cousteau Gagnan et une petite bouteille d’air comprimé qui gonflait automatiquement l’intérieur du caisson à la pression ambiante. Cousteau voulait une caméra spéciale, dont le carter soit aussi le caisson, pour un gain de poids et d’encombrement. Les trois hommes cogitent. Il faut inventer des premiers carters de bobines pour caméra étanche, penser à la facilité du rechargement, à l’équilibre dans l’eau, à l’accès des commandes, etc. Lorsque la Calypso part en croisière en Océan Indien et mer Rouge pour tourner le Monde du Silence, les caméras sont à peine terminées, pas encore testées. Laban embarque, Claude reste à Marseille. Les correspondances à caractère technique se poursuivent pour les derniers ajustements. Mais la réussite est totale. Les premières images développées sont absolument époustouflantes, et les caméras sont d’une utilisation idéale. Elles sont si parfaites que Cousteau n’en changera plus pendant 40 ans. Elles connaitront bien sûr des ajustements, des adaptations constantes, mais resteront inchangées dans leur architecture globale et leur mécanique de base.

En juin 1955, Strada a le bonheur de rejoindre Calypso à Port Soudan. Le bateau revient de l’Océan indien où l’équipe à mis en boite la plupart des images du Monde du Silence. Direction le détroit de Jubal, où une épave a été repérée à l’aller. Claude raconte : « Cousteau m’a dit : « Strada, on vient de localiser l’épave, mettez un scaphandre et allez voir ». C’était ma première plongée en mer Rouge, j’entendais depuis 3 jours parler des requins, je n’étais pas très tranquille à l’idée de descendre là-dedans ». Strada descend, il atteint l’arrière de l’épave vers 25 mètres de fond, couchée sur un fond de 33 m, portant encore ses deux canons, et une grosse hélice. Il est le tout premier plongeur à explorer ce qui est aujourd’hui l’une des épaves les plus célèbres et les plus visitées au monde : le Thistlegorm. Les images que Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle réalisent de Dumas explorant l’épave sont une des scènes les plus sensationnelles du Monde du Silence. Tout comme l’est celle de la descente aux flambeaux des plongeurs gagnant le fond en séquence d’ouverture, tournée quelques jours plus tard en Crête. Claude Strada est un des cinq plongeurs sujets. Rejouées plusieurs fois, Claude se souvient : « Nous devions être tous synchro et descendre à la même vitesse. A la dernière prise, j’étais tellement concentré que j’en ai oublié d’expirer par le nez. Je suis remonté avec deux yeux au beurre noir ».

C’est en Crête qu’est tourné la séquence avec les scaphandriers pieds-lourds. Claude se souvient de la fête absolument mémorable qui s’en est suivi au carré : « L’un d’eux était turc. Et il était comme on dit : fort comme un turc. Eux buvaient du Retsina, un vin blanc sec résiné grec, et eux nous servaient du rhum. On a picolé et rit comme des diables toute la nuit. Le matin on était encore à chanter sur les quais en tapant sur des bidons. »

Le succès du Monde du Silence, palme d’Or à Cannes en 1956 et Oscar à Hollywood en 1957 va tout changé pour l’équipe Cousteau. L’OFRS se dote d’un bâtiment pour ses bureaux, proche de la Chambre de Commerce de Marseille, Quai de la Grande Bigue, et d’un hangar pour atelier. Un second dessinateur, André Folco, est embauché en 1955. Strada est toujours employé par la Chambre de Commerce mais est désormais détaché à temps plein pour l’OFRS. Lorsqu’un nouveau dessinateur, Serge Lagier, ainsi que l’ingénieur Jean Mollard, sont recrutés pour renforcer la petite équipe, Claude est nommé chef du bureau d’études. Il gardera cette fonction lorsqu’il quittera officiellement la Chambre de Commerce pour être salarié de l’OFRS, en 1963, et le restera jusqu’à sa fermeture en 1972.

En 1957, l’OFRS relève un nouveau grand défi : concevoir un mini sous-marin d’exploration qui sera embarqué sur la Calypso. Une gestation lente, prudente. Laban travaille d’abord seul avec Strada, Davso et Folco jusqu’à l’arrivée de Jean Mollard. Ce dernier s’y consacre à plein temps. Une première maquette à échelle 1 est réalisée en plâtre, puis en bois, pour tester les encombrements, incorporer tous les équipements intérieurs et extérieurs. Claude se réveille parfois la nuit avec une idée, qu’il note sur un cahier avant qu’elle ne s’efface dans ses songes. La conception de cet engin révolutionnaire va s’étaler sur 3 ans et mériterait d’être racontée en détails tant elle regorge d’innovations géniales et d’anecdotes amusantes. A la fin de 1959, l’OFRS accouche d’un engin fantastique qui va marquer les esprits du grand public comme des milieux scientifiques et industriels, en cette période où l’exploration sous-marine, en parallèle de l’exploration spatiale, fascine le monde entier. Le petit OFRS, dont les moyens sont ridicules, réalise des prouesses. La soucoupe plongeante SP350 (capable de plonger à 350 m), surnommée Denise, crève l’écran du film « le Monde Sans Soleil » et se voit décerner un Oscar en 1964.

Les américains retiennent la leçon des petits français. La société Westinghouse fait venir Denise en Californie pour tester ses performances et explorer le canyon de la Jolla. Elle commande à Cousteau un sous-marin pour une profondeur maxi de 1200 m, ce sera la soucoupe Deepstar.

De nouveaux noms s’ajoutent aux effectifs de l’OFRS au cours des années, renforçant au bureau d’études ou à l’atelier le noyau dur des trois pionniers : Ange Martin, Claude Collini, Jean-Pierre Marquinez, Yves (Léon) Heaulme, Pierre Bernard, Roger Chopian, Titi Léandri, Mimi Manakdjian, Gaston Roux, Eugène Lagorio, Adolf Ehinger, etc.

La grande force de l’OFRS est d’être maître de toutes les étapes : la conception, les essais, l’utilisation in situ, la maintenance. « Lorsqu’un écrou mal placé était difficile d’accès, Pierrot Bernard, notre chef d’atelier, savait nous le dire, et nous on se creusait la tête pour trouver une solution » précise Claude. l’OFRS crée la soucoupe Deepstar, livrée en 1965.

L’équipe Jean Mollard, Claude Strada, Jean-Pierre Marquinez et Pierre Bernard s’envole pour 4 mois au Etats-Unis pour finaliser sa mise en route et procéder aux essais. Claude se souvient de l’accueil incroyable qu’ils ont reçu, de la popularité de Cousteau là-bas, du transfert de Deepstar de la côte est à la côte ouest, et de leur traversée inoubliable des Etats-Unis en combi Volkswagen. Il raconte : « Deepstar était opérée par les américains depuis une barge, avec une grue à vérin pneumatique. Le pneumatique a le défaut de pomper et de créer des oscillations sous charge importantes, un vrai yoyo ! Cela ne m’inspirait pas du tout confiance. Au cours d’une opération, je devais mettre une broche sur un axe, lorsqu’un vérin a éclaté et est parti comme une fusée. Il est passé à quelques centimètres de moi. J’ai frôlé la mort ce jour-là. »

En 1967, l’OFRS met la dernière main aux deux Puces 500 destinées à la Calypso. Commandées à la société Sud-Aviation qui avait fait une offre à un coût très inférieur au devis de l’OFRS, elles sont finalisées par Mollard et Strada. Celles-ci n’auraient jamais été opérationnelles sans ce travail de mise au point final de l’OFRS.

En 1968, l’OFRS conçoit à nouveau un bijou : Cyana, une soucoupe plongeante de la même architecture que Deepstar mais capable de plonger à 3000 mètres. Le sous-marin livré au CNEXO, fera des centaines de plongées scientifiques sans connaître d’incident (aujourd’hui réformée et visible à la Cité de la Mer de Cherbourg).

En 1968, Cousteau lance l’OFRS dans un nouveau grand défi : un sous-marin maison sous la mer capable de séjourner plusieurs semaines sur le fond et de permettre la sortie de plongeurs jusqu’à une profondeur de 600 mètres : l’Argyronète, dont les partenaires sont l’IFP (Institut Français du Pétrôle) et le CNEXO (Centre National pour l’Exploitation de l’Océan) nouvellement créé. l’OFRS a alors beaucoup grossi et se voit contraint de changer de nom en CEMA (Centre d’Etudes Marines Avancées). André Laban quitte le CEMA pour être à plein temps sur les expéditions de la Calypso. Jean Mollard en prend la Direction Technique avec Claude Strada comme chef de Bureau d’Etudes. Le projet, d’une envergure inédite, dispose de moyens importants. De nouveaux ingénieurs et dessinateurs s’ajoutent aux effectifs. L’esprit d’équipe et la cohésion de groupe des années pionnières s’est un peu abimée en route, mais le projet est considérable. Il s’agit du plus gros sous-marin civil du monde.

Claude divorce en 1969 de sa première épouse après 20 ans de mariage sans avoir eu d’enfant. Il est amoureux de Christiane, secrétaire de direction de l’OFRS. Ils vivent ensemble à partir de 1970 et se marie le 6 décembre 1975. Christiane a un fils d’un premier mariage, que Claude élève comme son propre enfant. Aurélie nait de leur union en mars 1976 et leur donne deux petites filles.

Le projet de l’Argyronète est un projet colossal, au budget considérable. Un tel projet nécessite un soutien politique. C’est là que les choses se gâtent. Le Gouvernement lâche Cousteau. Le soutien financier de l’IFP se tarit. C’est la faillite du CEMA en 1972. 180 personnes, seront licenciées, en deux étapes. Le projet de l’Argyronète s’arrête net. Les ingénieurs, dessinateurs et techniciens du CEMA forment des profils parfaits pour la COMEX d’Henri Germain Delauze, dont les activités dans la plongée professionnelle sur les chantiers pétroliers offshores sont en plein boom. La plupart y sont embauchés. Mais Claude Strada, qui a plusieurs fois refusé des sollicitations d’embauche de Delauze au cours des années 60, refusant de trahir l’OFRS et Cousteau, ne reçoit aucune offre.

Claude Strada se lance alors dans la création d’un petit ROV sous-marin pour faire de l’inspection de coques de navires ancrés en rade. Il s’associe avec un plongeur et se fait embaucher par Welldocky une société de maintenance navale. Son idée trouve tout son sens lorsque le Mermoz s’échoue sur un banc de sable de Floride. Strada et son ROV permettent de réaliser une inspection pour le Bureau Veritas. Deux années plus tard, la société est rachetée par la SPAM, un groupe de 4000 personnes, et Strada est licencié.

Après quelques mois de doute, il rencontre une ancienne connaissance qui travaille chez TRAVOCEAN. La société recherche un ingénieur pour concevoir une machine d’ensouillage de câbles électriques au fond de la mer. Strada réfléchit à la procédure en partant d’une vielle machine hors service rachetée à la COMEX. Il réalise des schémas artistiques de la solution technique, suffisamment précis pour convaincre EDF de signer un contrat avec TRAVOCEAN. Celui-ci porte sur la pose d’un câble électrique entre la France et l’Angleterre. Les français doivent accomplir la moitié du chemin, les anglais la seconde, et se raccorder au milieu. Claude Strada met toute son expérience, son intelligence, son flair à l’œuvre pour concevoir et réaliser la machine. Il s’agit d’un sous-marin roulant, sorte de charrue qui creuse un sillon sur le fond de la mer et rebouche ensuite sur le câble électrique posé. Il arpente le fond de la mer, pilotée par deux hommes enfermés dans une capsule à pression atmosphérique. Les deux hommes gagnent le sous-marin roulant en plongée à l’étale de marée et y restent jusqu’à l’étale suivant. Le câble parcourt le chemin de Sangatte à Douvres en passant sur des fonds de 60 mètres maximum. La machine de Claude Strada est un monstre de 53 tonnes. Mais lorsque celui-ci découvre que celle des anglais en fait 4 fois plus, il se dit qu’il a tout faux, que jamais son engin ne marchera. Il n’en dort plus jusqu’au premiers essais réels. Le soulagement est total lorsque les essais se déroulent parfaitement. Il ne faudra que 2 mois pour poser la première portion de câble, un temps légèrement plus court que les anglais. Strada en tire une légitime fierté.

Claude travaille pour TRAVOCEAN jusqu’en 1986. Il a 60 ans, prend sa retraite, mais continue à travailler en profession libérale. On ne cesse pas d’inventer si facilement. Il travaille pour différents clients, conçoit une machine à récolter les algues, une machine à ensouiller les câbles pour la Corée, collabore avec les chantiers de la Seyne sur l’insonorisation des sous-marins nucléaires.

En 1996, on lui diagnostique un cancer du côlon. Il doit être opéré. Il a 70 ans et range définitivement ses crayons. Il guérit de son cancer et entame une nouvelle vie de grand-père et de retraité. C’est un homme serein et affable que j’ai eu la chance de connaître, qui aimait autant parler de ces années fantastiques que j’avais de plaisir à l’écouter et à le faire rebondir sur d’innombrables anecdotes.

Claude Strada, autodidacte, qui s’est formé par le travail et par le contact avec les autres, avait un immense respect pour les ingénieurs diplômés des grandes écoles – il faut dire qu’il en a côtoyé quelques-uns qui sortaient du lot – mais lui-même, qui n’avait jamais cessé d’inventer, de concevoir, de tester, d’améliorer des machines, en était devenu un tout à fait remarquable. Homme discret et désintéressé, il est resté souvent dans l’ombre, sans aigreur : « Un exemple dont je suis fier me revient, me confiait-il : Les systèmes de largage de lest des sous-marins étaient toujours sources de problèmes. Alors j’y ai réfléchis dans mon coin et j’ai dessiné un truc que Pierrot Bernard a fabriqué et testé dans l’atelier. Ça marchait magnifiquement. Et puis c’en est resté là. Des années après la fermeture du CEMA, un ancien de chez Cousteau passé chez COMEX m’a fait savoir que mon système de largage de lest équipait tous les engins COMEX. Mes plans avaient sans doute fuité au cours d’un déménagement. Je ne les ai jamais retrouvés. J’étais parfois un peu con hein ? ».

Claude Strada, c’était une créativité féconde, une mémoire précise, une intelligence intuitive, une honnêteté incorruptible, une générosité pudique, une courtoisie et une gentillesse démodée. Ce qu’il va nous manquer…

Franck Machu

Article original sur: Passion Calypso